L’avènement de l’intelligence artificielle (IA) offre de nouveaux horizons qui paraissent multiples et illimités dans de nombreux domaines. L’IA est devenue un outil très en vogue dans le domaine du marketing digital, offrant des possibilités quasi illimitées pour améliorer l’efficacité des campagnes, personnaliser les interactions avec les clients et analyser d’énormes volumes de données.
Mais l’intelligence artificielle crée également de nouveaux enjeux et responsabilités juridiques, qu’il est important de bien maîtriser. Eclairage avec Raphaël Molina, avocat spécialisé en influence, audiovisuel et médias, co-fondateur du cabinet Influxio.
Principaux usages de l’intelligence artificielle (IA) dans le marketing digital
Voici quelques-uns des principaux usages (sans que cette liste ne soit exhaustive) de l’IA dans le marketing digital :
- Personnalisation de l’expérience utilisateur
- Analyse prédictive du comportement des consommateurs
- Chatbots et assistants virtuels
- Optimisation des moteurs de recherche (SEO) et du contenu
- Automatisation dans la conception des messages destinés aux réseaux sociaux
- Publicité programmatique qui permet des ciblages très précis
- Automatisation du marketing : les plateformes connues sur le marché comme Hubspot, Plezi, (entre autres) intègrent déjà de nombreuses fonctionnalités
L’intégration de l’IA dans le marketing digital n’est pas seulement une tendance, mais une évolution nécessaire pour les entreprises cherchant à améliorer leur efficacité marketing, à mieux comprendre leurs clients et à personnaliser leur approche de manière évolutive.
Ces évolutions ne sont pas sans conséquences sur le plan juridique, et de nombreuses questions se posent sur de nombreux points.
Enjeux et responsabilités juridiques de l’utilisation de l’IA
Pour nous aider à comprendre les enjeux et les responsabilités juridiques qu’implique l’utilisation de l’IA, merci à Raphaël MOLINA, avocat spécialisé en influence, audiovisuel & médias, co-fondateur du cabinet d’avocats Influxio, d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions :
Bâti Visibilité : Tout d’abord, merci Raphaël de prendre le temps de répondre à ces questions qui restent floues pour pas mal de personnes.
Raphaël Molina : Tout à fait, je suis ravi de participer à cette discussion cruciale autour des implications juridiques liées à l’utilisation de l’IA. Il est essentiel que nous clarifiions ces enjeux pour une meilleure compréhension, car l’intégration croissante de l’IA dans divers secteurs soulève des défis complexes sur le plan légal, notamment, pour ne pas dire surtout, dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Bâti Visibilité : Quel regard portez-vous sur l’arrivée de l’IA dans les métiers du digital au sens large ?
Raphaël Molina : L’avènement de l’IA dans les métiers du digital représente une révolution majeure, et ce, dans plusieurs dimensions. En tant qu’avocat spécialisé, je constate que l’IA influence de manière significative la manière dont nous appréhendons et gérons les questions juridiques.
Par exemple, dans le domaine du community management des Agences, l’IA offre des outils puissants pour analyser les tendances, anticiper les besoins des utilisateurs, et optimiser l’engagement en ligne. Les community managers peuvent désormais bénéficier de solutions automatisées pour gérer les interactions, identifier les opportunités de croissance, et garantir une présence digitale stratégique.
En ce qui concerne les influenceurs, l’IA présente à la fois des opportunités et des défis. Les algorithmes peuvent aider à cibler efficacement le public, à personnaliser le contenu, et à mesurer l’impact des campagnes.
Cependant, cela soulève également des questions éthiques, notamment en termes de transparence sur l’utilisation de l’IA dans la création de contenu comme on a pu le voir avec la récente loi du 9 juin 2023. Tout contenu produit par des procédés d’IA visant à représenter un visage ou une silhouette sont accompagnés de la mention : « Images virtuelles ».
Mon rôle évolue aussi. Non seulement je suis confronté à des questions traditionnelles de propriété intellectuelle, mais je dois également naviguer dans les nuances juridiques entourant l’IA, la protection des données, et l’éthique numérique.
La nécessité de trouver un équilibre entre l’innovation technologique et la protection des droits individuels devient de plus en plus cruciale.
L’IA est une arme à double tranchant pour tous les métiers de façon plus globale.
Bâti Visibilité : Quelle précaution conseillez-vous de prendre avant de se lancer dans l’utilisation de ChatGPT ou autre outil d’IA générative ?
Raphaël Molina : Avant de se lancer dans l’utilisation d’outils génératifs tels que ChatGPT, il est crucial de prendre des précautions bien réfléchies pour garantir une utilisation éthique, juridiquement conforme et responsable de ces technologies émergentes.
À mon sens, les trois principaux conseils seraient les suivants :
- Il faut faire une analyse de la conformité légale : Avant d’implémenter des outils génératifs, il est essentiel de s’assurer qu’ils sont conformes aux régulations en vigueur. Cela implique de comprendre les lois liées à la protection des données, la vie privée, et toute autre régulation spécifique au secteur d’activité.
- Malgré les avancées de l’IA, la validation humaine reste cruciale. Il est conseillé d’avoir une supervision humaine pour vérifier et corriger les contenus générés, surtout dans des domaines sensibles ou sujets à controverses.
Souvent, les Agences demandent notre intervention dans les contrats afin de vérifier la conformité légale ainsi que la défense des intérêts en jeu.
- Assurez-vous que les données utilisées par les outils génératifs sont sécurisées et conformes aux normes de protection des données. Cela inclut la gestion appropriée des données d’entraînement et des données générées. Je ne le dirai jamais assez : évitez de mentionner vos données personnelles ou celles des autres quand vous utilisez ChatGPT.
Bâti Visibilité : De nombreux professionnels sont tentés d’utiliser ChatGPT pour générer des contenus textuels. Quelles précautions conseillez-vous de prendre notamment pour la préservation des droits d’auteur ?
Raphaël Molina : L’utilisation d’œuvres de tiers ne date pas d’hier, rien n’est finalement nouveau ! En effet, le droit actuel répond déjà à cette problématique !
Seules les œuvres de l’esprit bénéficient de la protection par le droit d’auteur. Il s’agit d’œuvre qui porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur, on dit alors que l’œuvre est originale. Aucune formalité n’est obligatoire pour obtenir cette protection, il s’agit donc d’une protection automatique.
Par exemple, sont a priori des œuvres de l’esprit les articles, les livres, les discours, etc. Si le contenu généré est utilisé à des fins commerciales, assurez-vous d’attribuer correctement les droits d’auteur.
En principe, si vous utilisez une œuvre de l’esprit qui appartient à un tiers, il faut obligatoirement son autorisation.
Cependant, par exceptions, lorsqu’il s’agit simplement, notamment :
- d’une représentation dans un cadre familial ;
- d’une reproduction strictement réservée à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective ;
- d’une analyse ou courte citation justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique ;
- scientifique ou d’information de l’œuvre ;
- d’une diffusion à titre d’information d’actualité des discours publics.
Attention, il est nécessaire de mentionner le nom de l’auteur (par exemple entre parenthèses) dans tous les cas.
Lors de l’utilisation de ChatGPT, définissez clairement les paramètres et les instructions pour éviter la création involontaire de contenus qui pourraient enfreindre les droits d’auteur. Par exemple, si vous utilisez l’outil pour générer des descriptions de produits, spécifiez les critères exacts et évitez d’inclure des formulations trop similaires à des descriptions existantes soumises au droit d’auteur.
Intégrez une supervision humaine dans le processus d’utilisation de ChatGPT. Cela implique de vérifier et d’éditer les résultats générés pour garantir que le contenu respecte les droits d’auteur et réponde aux normes éthiques.
En conclusion, l’utilisation de ChatGPT n’est pas vraiment une problématique majeure car souvent il s’agit de citations en pratique.
Cependant, les IA comme Midjourney sont à contrario de véritables difficultés, certains de nos clients ont vu leurs œuvres reprises par l’IA sans leur accord, au détriment de l’utilisateur non informé.
Cela entraîne une question plus complexe… celle de la responsabilité. Qui est responsable ?
Bâti Visibilité : Est-ce que vous conseillez l’utilisation d’outils anti-plagiat afin de s’assurer que le contenu généré est bien unique et original ?
Raphaël Molina : Oui, je recommande vivement l’utilisation d’outils anti-plagiat pour garantir que le contenu généré demeure unique et original. On le conseille vivement à nos clients d’ailleurs.
Ces outils sont essentiels pour prévenir tout risque de violation des droits d’auteur et assurer la protection du contenu produit.
En vérifiant la similarité avec d’autres textes existants, ils contribuent à maintenir l’intégrité intellectuelle et évitent tout problème potentiel lié au plagiat. C’est une étape cruciale pour les professionnels qui souhaitent garantir la protection de leurs contenus.
Il est à noter que ces outils anti-plagiat ont un certain prix. Nous conseillons aux particuliers qui n’ont pas forcément les ressources nécessaires de privilégier un écrit qui indique la date à laquelle ils ont créé l’œuvre à protéger.
Ou mieux : optez pour la lettre Soleau, peu connue mais pourtant plus efficace qu’un simple écrit.
Bâti Visibilité : Concernant la génération d’images, faut-il prendre les mêmes précautions ? Que conseillez-vous précisément en termes de droit à l’image ?
Raphaël Molina : Absolument, les mêmes précautions doivent être prises lors de la génération d’images. En termes de droit à l’image, je conseille avant tout de s’assurer que les images générées respectent les droits de propriété intellectuelle, notamment en évitant l’utilisation non autorisée de photographies, d’œuvres d’art ou d’autres contenus visuels protégés par le droit d’auteur.
Petite astuce de notre cabinet : faites une capture d’écran et utilisez la recherche par image de Google, on a souvent des surprises !
De plus, lors de l’utilisation publique des images générées, il est recommandé d’obtenir les autorisations nécessaires, en particulier si des personnes reconnaissables sont représentées. Respecter les droits à l’image est essentiel pour éviter d’éventuelles répercussions légales liées à l’utilisation non autorisée d’images.
Autre astuce : pour vous protéger de façon extrêmement efficace, on peut revenir aux « vieilles » techniques que sont le floutages ou le recadrage. Le but est que la personne ne soit pas identifiable (visage, tatouages, etc.) !
Bâti Visibilité : A qui appartiennent les contenus générés par une IA ? L’entreprise générant un texte ou une image est-elle considérée comme son auteur ?
Raphaël Molina : L’idée fondamentale est que, selon les principes du droit d’auteur, la propriété intellectuelle d’une œuvre de l’esprit appartient exclusivement à l’auteur, qui est une personne physique. Conformément à l’article L. 113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, la qualité d’auteur est attribuée, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.
Dans le contexte du droit français, une personne physique est définie comme un individu doté de la personnalité juridique, englobant ainsi des entités telles que vous, moi, et chaque lecteur individuellement. Cependant, il est important de noter qu’à ce jour, les intelligences artificielles (IA) ne possèdent pas de personnalité juridique. Elles ne sont ni des personnes physiques ni des personnes morales, comme une société.
Bien que les législateurs européens et français examinent actuellement cette question pour trouver une solution, dans l’état actuel du droit français, les IA ne bénéficient d’aucune personnalité juridique. En conséquence, elles ne peuvent pas être titulaires du droit d’auteur.
Aujourd’hui, les IA génératrices ne disposent pas de prérogatives juridiques. Cependant, de manière générale, les projets penchent pour la reconnaissance d’une personnalité juridique spécifique : une personnalité électronique à l’IA afin d’encourager les créations.
Bâti Visibilité : Avez-vous déjà été confronté à des problématiques liées à l’utilisation de l’IA générative ?
Raphaël Molina : Une créatrice de mode passionnée a utilisé l’IA pour générer un design de sac esthétiquement unique. Convaincue de la nouveauté de son œuvre générée par l’IA, elle décide de déposer une demande de protection au titre du droit des dessins et modèles.
Cependant, après l’obtention de la protection, une entreprise concurrente conteste la validité du dessin en déposant une demande en nullité. L’entreprise allègue que le design du sac généré par l’IA n’a pas un caractère propre, car il suscite une impression visuelle similaire à celle d’autres dessins déjà divulgués avant la date de dépôt de la demande de protection.
En réalité, il est crucial de souligner que l’IA ne réalise ni invention ni création. Elle fonctionne essentiellement en « piochant » des informations à partir de données déjà existantes pour proposer une solution. En d’autres termes, elle ne génère pas de nouvelles idées ou de créations originales, mais opère plutôt une transformation et une combinaison des éléments préexistants.
Ainsi, l’adage « rien ne se crée, tout se transforme » trouve une pertinence particulière dans le contexte de l’intelligence artificielle.
Bâti Visibilité : Pensez-vous que le législateur sera amené à légiférer sur le sujet et sous quel délai ?
Raphaël Molina : Il est difficile de prédire avec certitude les actions futures du législateur, mais il est plausible de penser que le sujet de l’intelligence artificielle et de la propriété intellectuelle pourrait susciter l’attention des législateurs à l’avenir.
L’Union européenne (UE) souhaite mettre en place un règlement sur l’intelligence artificielle (IA). Adopté le 2 février 2024, ce règlement a pour objectif d’encadrer le développement de l’IA.
Le prochain encadrement de l’IA sera fondé sur un système de risques en 4 niveaux. La Commission a proposé́ trois initiatives juridiques interdépendantes qui contribueront à l’établissement d’une IA digne de confiance :
- un cadre juridique européen pour l’IA propres aux systèmes d’IA ;
- un cadre de responsabilité́ civile — adapter les règles de responsabilité́ à l’ère numérique et à l’IA ;
- une révision de la législation sectorielle en matière de sécurité́.
La technologie évoluant rapidement, les enjeux liés à l’IA, y compris ceux touchant à la propriété intellectuelle, pourraient inciter les autorités législatives à prendre des mesures pour encadrer et réglementer ces questions. Le délai pour de telles initiatives législatives dépendra probablement de divers facteurs, tels que l’urgence perçue du problème et les développements technologiques dans ce domaine.
Il faut souligner que le droit actuel peut également s’adapter à ces enjeux sur de très nombreux points juridiques, encore une fois…
Affaire à suivre…
Merci Raphaël d’avoir répondu à ces questions.
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